Interview de Pascale Joannot, impliquée dans l’IFRECOR depuis ses débuts

Interview de Pascale Joannot, impliquée dans l’IFRECOR depuis ses débuts

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Bonjour, bien volontiers et merci d’avoir pensé à moi ! 

Je suis de formation scientifique puisque j’ai un doctorat d’océanographie, je suis citoyenne calédonienne, j’aime transmettre la connaissance et monter des projets en ce sens. 

Actuellement, je suis directrice du pôle des Expéditions scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle.  Je suis arrivée à Paris (de Nouvelle-Calédonie) fin 2000 pour préfigurer la direction de collections du Muséum et ce, jusqu’en 2008, avant de devenir directrice adjointe des collections. En 2007, j’ai également créé au Muséum la Délégation aux outre-mer, et depuis 2017, je dirige donc le pôle des Expéditions scientifiques. Dans ce cadre, j’ai créé le label « Expéditions du Muséum » qui récompense les chefs d’expéditions qui se sont engagés à partager leur projet avec le grand public et avec les populations locales.  Ces expéditions font progresser la connaissance dans tous les domaines scientifiques du Muséum, et notamment ceux de l’anthropologie et de la biodiversité. Par exemple, grâce à un programme intitulé la Planète Revisitée, nous découvrons encore de très nombreuses espèces nouvelles pour la science. En Nouvelle-Calédonie, de nombreuses espèces de biodiversité dite « négligée » – c’est-à-dire les organismes de petites tailles invertébrés marins, insectes, plantes et champignons – ont ainsi été révélées. 

J’ai eu la chance de participer à la création de l’International Coral Reef (ICRI) à Dumagete City aux Philippines en 1994, ce qui m’a naturellement amenée à faire partie des passionnés fondateurs de l’Initiative française pour les Récifs Coralliens (IFRECOR) en 1999.

Vous contribuez à SOS Corail à travers son comité scientifique dans la sélection des programmes, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Grâce à ses outre-mer,  la France est le 4ème pays au monde pour ses récifs coralliens. Chacun d’entre nous peut participer à la préservation de cette richesse de biodiversité inestimable. Le programme SOS Corail lancé par l’Initiative Française pour les récifs coralliens et la Fondation de la Mer apporte beaucoup d’espoir, le défi est grand et je suis ravie de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager en faveur de la protection des récifs coralliens ? 

Toute jeune, j’ai toujours été attirée par la protection de la Nature et l’éthologie. Etant née au Maroc et ayant vécu dans le moyen Atlas, mon premier terrain de jeu a été la forêt, la mer est venue ensuite, lorsque j’ai vécu à Casablanca puis en Nouvelle-Calédonie où mes parents sont venus s’installer en 1974.  Et là, l’adolescente que j’étais a découvert l’époustouflante richesse des récifs coralliens. Le monde sous-marin m’a inondée de questionnements, d’inquiétudes aussi car intuitivement je voyais bien les risques de dégradation : les humains considéraient la mer comme un puits sans fond. 

Sur le chemin de la métropole où je partais faire mes études, j’ai fait un stop en Polynésie française où j’ai eu, grâce à des amis de mes parents, la chance de rencontrer le professeur Bernard Salvat, passionnant et motivant pour la jeune bachelière que j’étais. 

A cette époque, sur les conseils de Bernard Salvat, j’ai rencontré au Muséum le professeur Claude Levi, spécialiste des éponges. Cet entretien me donne l’occasion de leur dire combien j’ai été touchée à la fois par leur grand savoir et par leur savoir-être. 

Je me suis ainsi lancée avec passion dans des études de biologie à l’université de Nice puis de Marseille, et j’ai fait mes premiers stages de licence, maitrise et DEA à l’Aquarium de Nouméa ! Le rêve !!!

Je voulais également travailler en faisant ma thèse et à l’époque (1983), nous ne connaissions pas les mêmes difficultés qu’aujourd’hui pour trouver un emploi. J’ai eu le choix, et j’ai pris celui qui me plaisait le plus, même s’il était le moins rémunérateur : biologiste/plongeur et directrice adjointe de l’aquarium de Nouméa. J’ai également proposé mon sujet de doctorat à mon directeur de thèse Bernard Thomassin : l’étude d’un récif exploité pour son corail, et j’ai mené tout cela de front. Cette étude m’a permis de suivre une exploitation de corail et la mise en place de quotas, et de travailler à la fois sur la croissance, la résilience des scléractiniaires et leur reproduction, dont on ne connaissait alors pas grand-chose. Je suis très fière d’avoir été la première scientifique française à décrire le phénomène de la ponte en masse des coraux. J’ai traqué cette ponte avec obstination, et j’ai en novembre 1989 eu l’immense joie de voir ce spectacle féérique aujourd’hui bien connu. 

Première observation de la ponte de coraux en Nouvelle-Calédonie – Nov. 1989

Il se trouve que le directeur de l’aquarium de l’époque, Yves Magnier, a décidé de s’investir en politique, si bien que je me suis retrouvée à 25 ans directrice de l’Aquarium de Nouméa que j’ai dirigé pendant 17 ans. Durant cette période, j’ai initié et suivi le projet du nouvel aquarium des Lagons, jusqu’à son inauguration en août 2007 : c’était une très belle aventure et je suis heureuse d’avoir contribué à ce projet !

En 1994, j’ai représenté la Nouvelle-Calédonie à Dumaguete City lors de la création de l’Initiative Internationale pour les Récifs Coralliens (ICRI) et ensuite tout s’est enchainé. 

En 1998, alors que la France assurait le secrétariat de l’ICRI, nous nous sommes dit que la France, grâce aux récifs coralliens des collectivités d’outre-mer, devait s’engager à long terme pour gérer ses récifs coralliens. Nous sommes le 4ème pays corallien au monde, et nous avons donc une grande responsabilité pour leur sauvegarde !   J’ai donc participé au Ségur de l’environnement constitutif de l’Initiative française pour les Récifs Coralliens, l’IFRECOR : en mars 1999, sur décision du premier Ministre Lionel Jospin, les ministres chargés respectivement de l’environnement et de l’outre-mer ont lancé cette initiative nationale en faveur des récifs coralliens et écosystèmes associés.  Pour l’anecdote, c’est à cette époque que je me suis amusée à mesurer sur une carte tous les récifs coralliens des collectivités d’outre-mer et j’ai ainsi estimé, a minima, à environ 5000 km la longueur des récifs coralliens des outre-mer. 

En Nouvelle-Calédonie, le haut-commissaire a créé le comité local de l’IFRECOR qu’il présidait et il a eu l’ingéniosité de le faire co-présider par un élu local, le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cela a permis une bonne appropriation de l’IFRECOR par les institutions locales et par les citoyens. J’étais la coordinatrice du comité local et nous avons mis en place un plan d’action pour la Nouvelle-Calédonie. L’IFRECOR a été l’une des premières instances pluridisciplinaires et transversales bien avant les grenelles de l’environnement ou de la mer. Depuis que je suis à Paris, je représente le ministère de la recherche à l’IFRECOR, et pilote dans le cadre du Muséum des projets relatifs à l’inventaire de la biodiversité des récifs coralliens et la classification des habitats. 

J’ai rejoint en 2018 une autre organisation tout aussi dynamique et volontaire : la Fondation de la Mer. Aujourd’hui, je suis ravie que la Fondation de la Mer et l’IFRECOR fassent alliance ; cette belle énergie de part et d’autre devrait permettre des actions encore plus concrètes et efficaces en faveur des récifs coralliens. 

Voilà donc le parcours de mon engagement pour les récifs : j’étais décidée, à défaut de sauver la planète, à sauver les récifs coralliens ! Et puis, le corail, petit animal qui vit en colonie, qui s’allie au végétal (ses zooxanthelles symbiotiques) pour construire du minéral (le squelette d’aragonite) dont il n’habite que le dernier étage et qui édifie les plus grandes bio-constructions de la planète mérite tout de même toute notre attention, ne croyez-vous pas ? 

Que diriez-vous de la situation des récifs coralliens des outre-mer aujourd’hui ? Y a-t-il un espoir ? 

L’espoir de les sauver du réchauffement climatique ? De l’acidification des océans ? 

Je ne sais pas ! Ce sera d’autant plus difficile que nos émissions de gaz à effet de serres accélèrent ce changement climatique qui non seulement touche les récifs coralliens, mais menace également d’exil les populations du littoral en raison de l’élévation du niveau de la mer.

Aujourd’hui, l’état de santé des récifs coralliens des outre-mer est inégal. Certaines collectivités comme les Antilles ont des dégradations récifales graves, alors que ceux des Iles Eparses et du Pacifique sont encore plutôt préservés. Les récifs de Mayotte et de La Réunion sont en état intermédiaire. En revanche, tous subissent le changement climatique et présentent des blanchissements plus ou moins forts. Pour bien comprendre, c’est un peu comme nous : il y a les récifs fragilisés par nos pollutions car ils sont moins résistants au changement climatique, et les autres encore en bonne santé qui sont plus résistants. 

Avez-vous une anecdote à partager sur l’IFRECOR ? 

Oh là là j’en ai plein ! Mais au fond, ce sont plus que des anecdotes : ce sont des souvenirs, lequels raconter ? 

Celui où nous réunissions pour la première fois, dans le cadre du comité local de l’IFRECOR-Nouvelle-Calédonie, l’ensemble des acteurs dont certains ne se parlaient plus depuis longtemps et qui finalement se sont retrouvés pour agir en faveur des récifs ? Ceux de l’organisation des 15 ans de l’IFRECOR à l’Assemblée Nationale, avec la complicité du député Calédonien Philippe Gomès, du cabinet de président de l’Assemblée Nationale et de la Maison de la Nouvelle-Calédonie ? 

Je vous livre celui du comité permanent de l’IFRECOR en 2009 à Wallis-et-Futuna. Notre hôte, le sénateur Robert Laufoaulu et le représentant du comité local de l’IFRECOR Atoloto Malau avaient organisé notre comité permanent à la mode océanienne : mélange de partage de valeurs, d’accueil coutumiers chaleureux, sérieux et festifs avec, en fin de séjour, une sortie en mer et une plongée mémorables ! J’ai alors été traversée d’une sensation inédite : celle de rencontrer de vieux et paisibles coraux, comme si les lieux n’avaient jamais été fréquentés, comme s’ils avaient échappé aux aléas de la météo apportant son lot annuel de dépressions et cyclones. Tout était si paisible sous l’eau ! Cet événement a été pour moi une réussite non seulement pour l’IFRECOR, mais également pour la consolidation des relations au sein du groupe. 

Et surtout, et c’est important, c’est durant ce comité que nous avions décidé de faire modifier le décret portant création de l’IFRECOR pour donner plus de poids aux comités locaux.  Il ne fallait pas que l’IFRECOR soit une instance essentiellement métropolitaine, ce qui était souvent ressenti comme tel par les collectivités d’outre-mer. C’est ainsi que nous avons proposé, à l’image de ce qui se faisait déjà en Nouvelle-Calédonie, que les comités locaux soient coprésidés par le préfet ou haut-commissaire et un élu local.

Je fais partie des plus anciens membres de l’IFRECOR et si vous me permettez de faire référence à la culture kanak, l’IFRECOR pourrait-être comparée à une grande case dont les poteaux de tour de case sont les membres et le poteau central, symbolisant le grand chef pourrait, si l’on fait une entorse à la symbolique, être tricéphale. L’IFRECOR en effet n’existerait pas sans l’implication dès l’origine de trois personnes : Bernard Salvat, Catherine Gabrié et Pascal Colin auxquels je souhaite rendre hommage à travers cet entretien.

Quel message aimeriez-vous faire passer sur les actions à soutenir pour sauver les récifs, mangroves et herbiers ? 

Aujourd’hui, si nous avons toujours besoin d’accroitre la connaissance de la biodiversité des récifs coralliens, nous avons tous les outils utiles pour les préserver efficacement sur le terrain : il ne s’agit donc pas de se demander comment faire. On sait. On sait que pour protéger les récifs coralliens il faut mieux gérer les déchets, réguler les stocks, gérer les flux touristiques, abandonner les énergies fossiles. L’IFRECOR ne va pas changer le monde ! En revanche, en consolidant les comités locaux des collectivités d’outre-mer, en construisant ensemble des feuilles de routes précises et très concrètes, les comités locaux pourront être encore plus actifs dans leur collectivité. Aujourd’hui, nous avons besoin d’actions concrètes qui relèvent souvent de la politique d’aménagement, mais nous devons également poursuivre, et l’IFRECOR le fait très bien, les activités éducatives, continuer à fédérer les acteurs des outre-mer et poursuivre les programmes en place. 

Comme l’IFRECOR concentre essentiellement ses crédits pour des actions concrètes, il manque cruellement d’un volet communication. C’est pourquoi je mets beaucoup d’espoir dans le partenariat IFRECOR / Fondation de la Mer et dans le programme SOS Corail qui vient d’être lancé.  

 Je souhaite que l’IFRECOR, plate-forme d’échanges de tous niveaux, continue d’être cette initiative originale qui  produit des fruits remarquables, et je vous invite à lire l’ensemble des actions réalisées depuis 20 ans !

Pascale Joannot
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